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29 mars 2007

ébauche

ébauche de mots, avant qu'ils ne s'enfuient loin de ma caboche.


voleur de chagrin

Il était devant moi, tremblant, sanglotant, les paupières gonflées des larmes salées. Le dos voûté, la tête dans les épaules. Avec cet air de l’homme au bord du gouffre qui va dans la seconde se laisser tomber. Et tant pis pour la vie.
Depuis huit années que je ne l’avais pas vu, ses joues s’étaient creusées de rigoles dans lesquelles venaient courir les larmes pour tomber en cascade sur son col de chemise. Une chemise sur mesure amidonnée, raide sur la nuque, aux poignets ornés de boutons de manchette en nacre. Et des chaussures de bowling en cuir chocolat. Des vêtements qui signent un milieu. Celui de l’argent, de la bourse, des chiffres qui tournent jusqu’à en hypnotiser ceux qui les guettent derrière un écran.
Toutes ces années l’avaient vieilli, mûri, abîmé. Il devait avoir beaucoup froncé les sourcils, pour garder cette marque au milieu du front, blanche, qui tranchait avec son bronzage de son dernier séjour aux sports d’hiver.

Il était devant moi, tentant d’articuler des mots qui restaient au fond de sa gorge nouée. Des mots qu’il ne pouvait pas libérer.
Il finit par lâcher « elle est partie ». sa voix tremblante sur la fin de cette courte phrase, pour laquelle il avait durci le ton. Pour tenir jusqu’au dernier mot. Trois mots, et il tombe déjà.
Et donc, elle était partie. Celle que je n’avais jamais vue et qu’il avait laissé prendre ce que je pensais être ma place. Elle avait pris ma place. Il la lui avait donnée. Du jour au lendemain, sans préavis, sans mise en demeure. Sans que je trouve la moindre raison sinon qu’il devait s’être lassé de moi au fil des jours.
Bien sûr qu’on se lasse de l’autre. Que l’impression de déjà vu finit par ne même plus se remarquer. Il est un temps où on l’on note davantage ce qui sort de l’ordinaire, de la routine, que ce qui est nouveau et surprenant parce que méconnu jusqu’alors. Ou oublié. La surprise n’a plus la même valeur.
Il disait souvent à propos de son travail, généralement au bout d’un an et demi, qu’il avait fait le tour de son poste. Et commençait à prêter attention aux chants des chasseurs de tête qui le laissaient indifférent quelques mois auparavant.
Alors un jour, un soir, il avait décidé qu’il avait fait le tour de moi. Examiné tous les recoins que j’avais bien voulu lui donner à voir.  S’était plongé avec passion et toute la capacité de concentration dont il était capable dans le dossier « joséphine », le mien. Et puis avait fermé la pochette, sans post-it dessus pour signaler un dernier détail à reprendre.
L’affaire était entendue. Et comme elle l’était pour lui, elle devait l’être pour moi également.


Pendant que je préparais une salade, il s’était allongé sur le canapé, les yeux vides, les jambes ballantes, les bras derrière la nuque. Inerte. Il devait vraiment souffrir. Cela ne lui ressemblait pas, cette passivité, cette complaisance à se baigner dans la douleur.  A s’en envelopper même, comme dans un plaid dont la chaleur nous fait revivre.
Pendant une demi-heure il n’avait pas prononcé un mot. De longues minutes à tourner autour de lui, m’arrêter dans son dos, prête à lancer un mot d’encouragement. Et puis non, de moi non plus rien ne sortait.  Revenir devant le plan de travail, couper lentement les légumes, le couteau qui tombe sur la planche « schlak – schlak » régulièrement, assaisonner, touiller.
Il fallait que je gagne du temps. Pour saisir la situation, qui me semblait de plus en plus grotesque. Une farce.
« un homme largué se fait consoler par son ex ».
Dans un film, les spectateurs auraient eu pitié de moi. La pauvre, elle avait  été abandonnée il y a quelques années par cette homme, et maintenant qu’il venait pleurer dans ses jupons, elle lui ouvrait sa porte et lui préparait à dîner. Voilà ce qu’ils se seraient dit.

Et ce que je me disais aussi. Pauvre fille !
J’avais toujours été faible. La naïve de service qui croyait que dans le monde autour de moi ne pouvaient planer que de bons sentiments. Que les hommes étaient des chevaliers respectant un code d’honneur, que les femmes avaient pour vocation d’être charitables.
Lorsque qu’un ami me blessait puis revenait vers moi, jamais je ne demandais des comptes, jamais je n’exigeais de réparation. Puisqu’il revenait, il devait forcément regretter, être de bonne foi. Forcément… comment pourrait-il en être autrement ?
Ma sœur en colère, contre les autres, contre moi, essayait de me remettre les idées en place, elle si réaliste. « tu te fais avoir, il se sert de toi ! ». Ce à quoi je répondais invariablement « tu vois le mal partout ».
J’étais dupe de tous les calculs que peuvent échafauder les êtres humains pour parvenir à leurs fins, se mettre en valeur, prendre du pouvoir sur un autre.

Mais lui aussi souffrait. Comment ne pas être sensible à un autre qui souffre ?

Il s’est redressé, a défroissé ses vêtements du plat de la main, d’un coup sec. Bizarrement très énergique pour un candidat à la mort par chagrin d’amour. S’est levé en demandant si c’était prêt, il avait une faim de loup. Il souriait.
Comment pouvait-il sourire ? j’observais ses lêvres. Rictus de bonne contenance ? sourire franc ? il souriait vraiment, sourire d’aise, tout va bien la vie est belle je me sens en pleine forme qu’est-ce qu’on mange ce soir j’ai l’estomac dans les talons mon dieu quelle journée.

Je l’ai vu comme jamais auparavant je n’avais vu personne.
J’ai dit : « dehors ! »
Vu sans le filtre de la crédulité de celle qui veut se faire aimer quel que soit le sacrifice à offrir.
Il s’est arrêté dans son trajet vers la table, a plissé les yeux.
J’ai répété : « dehors ! »
Air interloqué. Je n’étais pas heureuse qu’il soit venu vers moi ? C’est que je comptais pour lui, malgré tout.  Au nom de nos années d’amour, de vie commune, je ne pouvais pas le chasser dans cet état de désespoir qui l’habitait. Vraiment, ça serait cruel.
« dehors ! »
Ca ne prenait pas, ça ne prenait plus, j’étais la méchante qui rejette. Celle qui ne se laisse pas embobiner par les phrases câlines de celui qui cherche un peu de réconfort avant de repartir vivre sa vie ailleurs. Sans moi.
J’ai montré la porte en fixant mes yeux dans les siens, droite, tendue par la colère et ce sentiment de puissance qui m’habitait, enfin.
Il s’est baissé pour ramasser son sac, a haussé les épaules et refermé la porte sans bruit.
J’ai jeté sa part du dîner à la poubelle, en faisant exprès de claquer très fort le couvercle. Je me suis assise et ai lentement mangé ma salade.





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Commentaires
M
Il fallait me ressourcer; m'abreuver, me nourrir, aspirer la substantifique moËlle de tes récits. Happée, hypnotisée par tes mots, la soirée défile. Un rempart à la souffrance de la solitude et de l'incompréhension. Toutes ces émotions ébauchées et pourtant déjà tellement abouties. A toi de les poursuivre. Merci d'aimer la vie pour nous!
M
go ahead !
C
pas pu m'arrèter de lire..tout d'un trait..<br /> je crois que la question ne se pose plus il faut continuer...
J
Je n'ai que quelques mots à te dire du fond du coeur,tu es faite pour écrire,tu a un véritablement don,de celui qui vous scotche et vous fait avaler des lignes et des lignes de petits caractères jusqu'à dire "ben quoi,c'est déjà fini?"..Quel dommage de ne pas en faire profiter le plus de monde possible,ceux qui préfère le contact du papier au click de la souris!Merci pour ce joli moment..
M
je découvre un reviendrai dans un moment de calme!
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